Qui vit par l’épée périra par l’épée

Afin de stabiliser le système financier, les banques centrales ont poussé au crime avec leurs injections massives de liquidités à taux proche de zéro. L’endettement a partout gonflé en conséquence et les pays les moins bien armés se retrouvent aujourd’hui pris au piège du remboursement. Comment assumer cet héritage qui mènera à un séisme financier si rien ne l’empêche ?

Le service de la dette d’une centaine de pays en voie de développement mobilisera cette année plus de 130 milliards de dollars, dont environ la moitié est dû aux créanciers privés. Depuis 2008, le montant de la dette de ces pays a triplé, leur laissant le choix entre trois options : rouler leur dette s’ils y parviennent à taux assumable, faire défaut et se préparer à un retour douloureux sur le marché, ou couper dans leurs dépenses consacrées à l’aide sociale et à la santé, ce qui n’est pas particulièrement le moment (l’est-ce jamais ?).

À terme, leur dette devra être restructurée dans l’ordre, faute de quoi elle le sera tôt ou tard dans le désordre. Mais les institutions internationales ne sont pas prêtes à la première option dans le contexte de délitement de la coopération mondiale actuel. Le moratoire décidé par le G20 ne fait que repousser le problème à demain et ne concerne pas la dette privée. Et le bras de fer qui est à nouveau engagé entre le gouvernement argentin et ses créanciers privés montre que ceux-ci prennent le risque de lâcher la proie pour l’ombre en exigeant toujours plus. Or, comme Joseph Stiglitz et Hamid Rashid l’ont récemment fait remarquer dans une longue étude argumentée du Center for Economic Policy research (CEPR), on n’obtient pas d’eau en pressant une pierre.

Le dispositif des clauses d’action collective (CAC) sur lequel il a été fondé beaucoup d’espoirs se révèle inopérant, aucune majorité qualifiée en faveur d’un abandon partiel de créance adéquat ne se manifestant chez les créanciers qui exercent au contraire une pression maximale, les fonds vautour étant à la manœuvre comme on le voit à nouveau en Argentine (*). Le fantôme des obligations Brady adoptées en 1989 plane mais n’atterrit pas. L’idée était de garantir le paiement des intérêts et du principal de nouveaux titres échangés contre les précédents, à plus longue maturité et assortis d’une période de grâce, par l’achat de bons du Trésor américains à coupon zéro. Cela a bien fonctionné mais a impliqué le FMI et la Fed américaine, ce qui est actuellement impensable. À l’époque, le secrétaire américain au Trésor Brady avait su convaincre qu’il fallait mieux tenir que courir et négocier les pertes pour les minimiser contre l’obtention d’une garantie béton. Autre temps, autre mœurs ! Aujourd’hui, l’intervention du FMI supposerait une décision politique collective alors que le gouvernement américain s’oppose à une augmentation des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI qui lui donnerait l’assise financière nécessaire.

Devant l’urgence et sans devoir attendre l’élaboration d’un mécanisme mondial, qui n’est pas pour demain, Joseph Stiglitz et Hamid Rashid proposent par défaut que le FMI finance à des conditions avantageuses de taux et de calendrier de remboursement, le rachat d’une partie de leur dette par les pays débiteurs. Mais cela se heurte au même écueil.

La menace de vagues successives de réfugiés démunis et vulnérables devant la pandémie galopante suffira-t-elle pour faire prendre conscience de l’insoutenabilité de la dette pourtant parfaitement documentée ? ainsi que de la nécessité impérieuse de la réduire en arguant de la situation de force majeure que représente la pandémie, en accordant la priorité à l’intérêt public et non pas aux créanciers ? A contrario, la tentation du compartimentage de la planète afin d’isoler les ilots de richesse (relative) est forte et n’augure pas d’un monde meilleur…

Et avec tout cela, le moteur de l’endettement continue de s’emballer.

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(*) Pesant de tout leur poids, BlackRock, Ashmore et Fidelity, trois fonds d’investissement créanciers de l’Argentine sont entrés en contact avec le FMI, le Trésor américain et l’International Capital Market Association (ICMA) en leur demandant d’exercer une pression en leur faveur sur le gouvernement argentin. Tout tourne autour de modifications qu’ils entendent apporter à la clause d’action collective (CAC) initialement acceptée des titres de la dette
qu’ils détiennent.

4 réponses sur “Qui vit par l’épée périra par l’épée”

  1. « …trois options : rouler leur dette s’ils y parviennent à taux assumable, faire défaut et se préparer à un retour douloureux sur le marché, ou couper dans leurs dépenses … »

    L’influence de l’idéologie libérale est si forte, que même les meilleurs d’entres nous, oublient qu’il y a une quatrième option, celle de faire payer l’impôt à la bourgeoisie !

    Le service de la dette d’une centaine de pays en voie de développement mobilisera cette année plus de 130 milliards de dollars. Raison de plus pour que les gouvernements de ces pays, sous la pression des peuples, fassent payer la facture à leurs bourgeoisies.

    Ils payent, où tout ce qu’ils ont de biens dans le pays est confisqué !

    1. Payer des impôts ?! Doux Jésus, c’est d’un vulgaire ! Ce sont là choses de vilains !

      Déjà en 1789 Necker convoquait les États généraux parce que la noblesse et le clergé se refusaient à payer l’impôt :

      « De par le Roi,
      Notre aimé et féal.
      Nous avons besoin du concours de nos fidèles sujets pour Nous aider à surmonter toutes les difficultés où Nous Nous trouvons relativement à l’état de Nos finances, et pour établir, suivant nos vœux, un ordre constant et invariable dans toutes les parties du gouvernement qui intéressent le bonheur de nos sujets et la prospérité de Notre royaume. Ces grands motifs Nous ont déterminé à convoquer l’Assemblée des États de toutes les provinces de notre obéissance, tant pour Nous conseiller et Nous assister dans toutes les choses qui seront mises sous nos yeux, que pour Nous faire connaître les souhaits et doléances de nos peuples, de manière que par une mutuelle confiance et par un amour réciproque entre le souverain et ses sujets, il soit apporté le plus promptement possible un remède efficace aux maux de l’État, que les abus de tous genre soient réformés et prévenus par de bons et solides moyens qui assurent la félicité publique et qui nous rendent à Nous particulièrement, le calme et la tranquillité dont Nous sommes privés depuis si longtemps.
      Donné à Versailles, le 24 janvier 1789. »

      Avec des petits-choses nommés président de la République par nos amis milliardaires, un Parlement godillot et une haute fonction publique pantouflarde, la situation est aussi bloquée qu’en 89.

        1. Oui. 231 ans plus tard, il est plus que temps d’instaurer la démocratie.
          De toutes les manières nous n’avons que deux options face au changement/basculement climatique: la démocratie qui permet une réelle coopération internationale pour limiter les dégâts, où les ploutocraties actuelles qui ne connaissent que la compétition dans un jeu à sommes nulles qui ne peut aboutir qu’à une guerre d’extermination planétaire pour le contrôle du dernier point d’eau.

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